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23 mai 2011 1 23 /05 /mai /2011 23:31

 

 

Il était enfin temps que je me plonge dans ce livre. Je connaissais l’histoire du livre et de son auteur, mais n’en avais jamais vraiment fait « l’expérience ». J’apprécie assez peu le cynisme forcé ou encore la polémique facile, c’est pour cela que j’ai aimé ce livre. Il n’y a rien que le témoignage d’un journaliste, son intelligence et son talent pour l’écriture. Car il pourrait nous marteler que les associations mafieuses en plus d’être immorales sont néfastes et détruisent des destins entiers. Il pourrait nous mentir un peu pour que nous soyons révoltés le temps au moins de la lecture. Il pourrait se faire le théoricien d’une philosophie anti-mafia en vilipendant le système actuel et ses vices.

 

Mais il ne fait que nous abasourdir et nous étourdir en décrivant avec finesse et intelligence des réalités dont nous nous doutions et que nous avions cherché à éviter. La mafia n’est pas tellement la fille du consumérisme, elle est surtout particulièrement habile pour l’exploiter jusqu’aux confins du sens. Car les hommes et les femmes qui s’embourbent dans cette vie de crimes et d’argent sale ne vivent pas dans un monde différent du notre, ils vivent simplement différemment dans le même monde. Quand nous nous trainons dans les boutiques, et essayons des jeans à tour de bras ; eux quelques mois avant avaient débarqué clandestinement ces jeans le long d’une côte napolitaine. Quand nous jetons nos déchets, un peu coupables d’encombrer nos espaces de détritus qui sont les excréments de notre système ; des hommes négocient illégalement des terrains du sud de l’Italie pour enfouir ces monceaux de déchets, empoisonnant à quelques kilomètres de là, leur propre famille. Et les vies se font et se défont ainsi, dans cet ailleurs qui nous semble si loin dans l’espace mais surtout, et à tort, dans le temps. Dans cette Italie mafieuse, le temps s’écoule comme partout et les années quatre-vingt-dix sont déjà oubliées depuis longtemps ; seules les vies y sont plus courtes.

            Pourquoi le choix du crime? Pourquoi le choix du clan? Pourquoi cette absurdité? Ces questions restent car, si l’on comprend bien les variables sociodémographiques et les subtilités culturelles, on est assez peu perméable aux raisons qui poussent un homme, une famille de faire le choix des armes, du crime organisé ; autrement dit d’une mort violente et prématurée pour soi-même et les siens.

 

            C’est qu’il fallait choisir une absurdité parmi tant d’autres : des valeurs parmi les valeurs, un idéal parmi les idéaux, un destin misérable ou un autre. Là où l’on n’a pas appris à espérer et à croire au moins vaguement à l’ascenseur social, on n’est pas moins naïfs qu’ailleurs ; alors on s’éprend de la vie mythifiée des padrini . Là où l’on est les témoins de l’envers du décor, c’est à dire du consumérisme et de la profusion des importations et de la production de détritus, on n’est pas moins sensible au confort et à la richesse. Au contraire, dans ces territoires enclavés de l’Italie des clans, où tout semble éphémère et désespéré, le gaspillage, les flux incessants de capitaux douteux, la consommation à outrance semblent les seuls moyens de s’approprier sa propre vie, elle-même brève et incertaine. Choisir le clan, c’est s’extraire un peu de l’absurdité créée par le clan lui-même.

 

H.C

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23 mai 2011 1 23 /05 /mai /2011 00:01

 

            J’ai lu ce livre sans raison. Le « tu » narratif que j’ai aperçu en le feuilletant m’a interpellé, il m’a presque semblé d’une originalité inesthétique. Ce qui était à l’origine une curiosité s’est finalement révélée être une expérience à la fois insaisissable et irréparable. Je n’y cherchais rien, juste quelques lignes pour passer le temps. Je venais de lire un recueil de nouvelles décevant, où il était question de sentiments forts et sensément saisissants. Il n’en était rien, les histoires étaient les prétextes d’une exaltation imperméable et artificielle d’un auteur, qui trop pressé ou trop immature, voudrait tout dire ; et qui ne dit pas grand chose.

 

inconsolale.jpg

 

J’ouvre alors L’inconsolable d’Anne Godard, peu exigeante. J’aperçois sans délai la profondeur de l’oeuvre, sa maturité terrible. Dès les premières lignes, j’aime l‘écriture. J’aime sans limite ce langage superbe et pourtant sans érudition, presque opaque dans ce qu’il exprime et jamais par un langage snob qui voudrait s’exhiber. J’ai presque oublié le « tu » narratif qui donne un vrai relief au personnage, et j’ai pensé au cours des chapitres que peut-être au fond de soi, l’âme se tutoie. J’ai aimé cette distance à l’ego, qui rend plus évident les distorsions de la perception et qui évite le dégoût subtil d’une âme qui se décrit elle-même.

 

            Rien d’amusant au cours des cent cinquante pages du livre. Il y a une mère dont l’âme a été dépecée par le drame de la mort du fils. Elle se complait dans sa souffrance. Elle y cherche une identité, un destin, peut-être. C’est un fardeau qu’elle ne cèderait à personne tant il lui appartient et tant elle y tient. Elle voudrait être célébrée afin de paraître infiniment humble ; elle voudrait être plainte pour exhiber son courage ; et si nul n’envie sa place, elle se réjouit que cette place soit la sienne. C’est une femme qui se convainc que nul n’aurait pu souffrir pareil horreur, et qui dès lors méprise tous les autres êtres. Elle se déshumanise dans cette fierté pervertie. Ses mots sont des lames par lesquels elle voudrait blesser « les autres », les survivants, ses enfants. Je crois que c’est cela qui m’a tellement marqué dans l’oeuvre : la haine raisonnable et méprisante d’une mère pour ses enfants survivants. Elle les aurait voulu instruments de sa souffrance, elle aurait voulu lire dans leurs yeux la reconnaissance d’une souffrance qui serait à jamais légitime et qui lui laisserait le droit de les délaisser, eux. Mais les années passent et ils lui reprochent chaque jour un peu plus son attitude, ils se détournent d’elle car ils n’ont jamais pu vivre que dans l’ombre d’un frère qu’ils n’ont même pas eu le droit de pleurer, et dans le mépris d’une mère qui ne les a jamais trouvé à la hauteur de son  drame. J’ai été saisie par la force de cette haine, jamais artificielle, mais révoltante. En fait, le génie de l’oeuvre m’a semblé être cette manière de décrire les mouvements d’une âme déshumanisée qui n’aime plus qu’un seul être, son fils, le mort, le moins humain de tous puisqu’il n’est plus qu’une idée ; sans que jamais qu’il nous vienne à l’esprit que cette mère est un être détestable et méprisable : elle se trompe seulement. Mais son erreur est la plus terrible qu’il soit : elle a rejeté l’amour de ses enfants, elle a voulu les défaire, elle croyait que ce n’était que justice.

 

            Je crois que le vrai drame de L’Inconsolable n’est pas tant le suicide du fils que l’injustice absolue de ne pas avoir reçu l’amour inconditionnelle d’une mère. Pourtant, par endroit, il apparaît dans l’oeuvre que l’inconsolable mère ne s’est pas  déshumanisée à travers la seule épreuve de la mort de son fils mais que dès le début, elle souffrait d’une incapacité à aimer simplement et absolument, et qu’elle a trouvé dans la mort de son fils un moyen de légitimer la froideur saisissante de son âme.

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  • : Etudiante en école de commerce, après deux ans en khâgne, je publie ici un certain nombre d'articles sur des sujets divers.
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