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19 février 2014 3 19 /02 /février /2014 23:12

 

 

 

 

Je viens de lire l’article de Beatriz Preciado « Qui défend l’enfant queer ? », dans lequel l’auteure expose ses arguments face aux opposants au mariage homosexuel. Le message principal que j’en retiens est le suivant : en plus d’être rétrograde, l’hétéro-normativité, défendue à corps et à cris par les opposants au mariage des homosexuel(le)s, est un carcan de malheur et de désespoir pour tous les enfants qui vivent eux-même leur éveil à leur différence, c'est-à-dire à  l’homosexualité, la bisexualité et/ou à tout autre sentiment d’inadéquation entre leur genre et le cadre hétéro-normatif dans lequel ils ou elles vivent. Cette construction intellectuelle est très claire, difficilement discutable et correspond, en effet, à des paradigmes sociologiques totalement valable sur le plan scientifique. Pourtant, je pense qu’elle crée aussi le cadre intellectuel dans lequel je vais tenter de la déconstruire. Pas parce que je pense qu’elle crée de la perversion, ou parce que je cultive quelque sentiment de haine, mais parce qu’il y a quelque chose qui, intellectuellement, me dérange profondément dans l’idée d’une hétéro-normativité à mettre à la poubelle, parce que génératrice de malheur.

 

L’hétéro-normativité, c’est l’idée selon laquelle, les garants de l’autorité sociale, parentale ou éducative imposent par des faits de toutes natures (symboles culturels, pression psychologique, parfois même violences, etc.) l’hétérosexualité comme « devant être », l’homosexualité étant reléguée au statut de déviance, pas forcément détestable mais au moins non-souhaitable. Comme le dit si bien, Beatriz Preciado, un enfant « queer » grandissant dans un environnement hétéro-normatif se sentira donc psychologiquement et parfois même physiquement vulnérable. Le diagnostique : déconstruisons l’hétéro-normativité (ce qui, loin de là, ne veut pas dire que nous devions la remplacer par une homo-normativité mais bien justement  par une absence de normativité) en inscrivant, par exemple,dans la loi que le mariage civil n’est plus justement le symbole culturel de l’hétérosexualité. En devenant « hétéro » ou « homo »,  le mariage véhicule un symbole positif pour ces enfants « queers ». Et la société n’en deviendra que plus heureuse.

 

"L’hétéro-normativité, c’est l’idée selon laquelle, les garants de l’autorité sociale, parentale ou éducative imposent l’hétérosexualité comme « devant être », l’homosexualité étant reléguée au statut de déviance."

 

Or, c’est là, que le bât blesse. Depuis la seconde guerre mondiale, le monde occidental s’est tourné vers l’individu. Qui suis-je ? Que veux-je? Et ce pour plusieurs raisons : d’une part,  les jeunes nés après 1945 ont grandi en apprenant dans les livres d’histoire que la culture de la « bien-pensance » et de la « patrie avant l’individu » de leurs ainés (qui étaient leurs parents) avait mené à la plus barbare des guerres et d’autre part,  ce fut une très belle opportunité pour le monde industriel qui y a vu un moyen de généraliser la consommation. Or la culture de l’individu n’est pas compatible avec la normativité (« il faut que », « nous devons » et surtout « vous devez »…), car les règles et les normes par construction ne s’adresse jamais à un seul individu, mais à un groupe, faisant fi des différences de chacun. A partir de 1968, les générations successives ont donc entrepris de déconstruire toutes formes de règles et de normes, avec plus ou moins de résistance. Toutes ou presque les normes « passéistes » étant rendues obsolètes, l’individu peut « s’auto-déterminer » comme le dit Preciado, c'est-à-dire choisir ce qu’il est : sa profession, sa sexualité, son style vestimentaire, etc. Evidemment, il existe toujours des résidus, puisque même le plus convaincu des soixante-huitards confirait à un jeune homme sur le point de passer un entretien d’embauche, qu’il vaut mieux éviter la crête jaune fluo. Mais soit, nous pouvons être qui nous sommes. Et donc être plus heureux.

 

Ou pas. Car la dépression  semble bien être la maladie du siècle, et de ce côté, chaque décennie est pire que la précédente. Les entreprises de mouchoirs et d’antidépresseurs ont encore de beaux jours devant eux. Et on nous avait promis le bonheur, l’amour, l’équilibre psychologique ! En 2014, nous devions être assurément plus heureux qu’en 1968. Il devait y avoir moins d’enfants en souffrance avec le divorce, l’avortement, la dépénalisation de l’homosexualité ! Grâce au divorce, moins d’enfants ont vécu dans la haine conjugale de leurs parents ; avec l’avortement, moins d’enfants susceptibles d’avoir une vie d’indésirables sont nés ; et avec la dépénalisation de l’homosexualité et l’acceptation toujours plus grandes des homosexuels, le mal-être de ces citoyens a dû statistiquement diminuer, non ?  Je ne suis évidemment pas opposée à tous ces faits de sociétés, bien au contraire : j’espère que le jour où mon mari me tapera sur les nerfs, je pourrais m’en séparer et je suis heureuse de savoir que si l’un de mes proches est homosexuel, il n’en subira aucun préjudice!  

 

 Mais la question n’est pas là, puisque il s’agit de bonheur et de malheur. Ainsi, nous pouvons être ce que nous sommes : à nous donc de décider qui nous sommes. Et là, se trouve le nœud du problème, à trop avoir à "s’auto-déterminer", nous errons dans le désarroi le plus total. Car nous n’avons pas, pour la plupart d’entre nous, la force psychologique et morale de décider ce qui est le mieux pour nous, ce que nous voulons réellement pour nous-mêmes : nous n’avons pas la capacité à exister sans les normes ! Et nous finissons donc malheureux comme des pierres. Et nos enfants (pas seulement les « queers », justement) le seront encore plus que nous : dès le plus jeune âge, on leur dira, « tu peux tout être : hétéro, homo, trans, asexuel, bi, poly, etc., c’est pas génial ça ?! ». Nous les adultes, on sera bien content de leur avoir offert un monde sans hétéro-normativité. Mais eux ? Ils se diront comme nous aujourd’hui qu’ils ont bien de la chance de ne pas être nés dans le monde de leurs parents, et pourtant, désabusés, ils s’enfileront des boîtes d’antidépresseurs sans vraiment savoir pourquoi la liberté, l’égalité et l’individualité les auront rendu si incapables d’être heureux.

"Ils s’enfileront des boîtes d’antidépresseurs sans vraiment savoir pourquoi la liberté, l’égalité et l’individualité les auront rendu si incapables d’être heureux.''

 

Au total, il semblerait que le prix pour notre égalité, de notre liberté, et de notre monde sans normes et sans normativité soit bel et bien une boîte de Lexomil. Et les enfants « queers » seront-ils plus heureux ? Ce n’est même pas sûr. Battons nous pour l’égalité des droits mais ne faisons pas comme si nous étions les champions du bonheur pour tous. 

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  • : Etudiante en école de commerce, après deux ans en khâgne, je publie ici un certain nombre d'articles sur des sujets divers.
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