Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 23:42

 

« Il n’y a plus d’histoire ! Finie la lenteur des siècles !  Le temps n’est plus une fuite, mais un trou noir ! ». C’est que le vingtième siècle nous a bien secoué, quand même. Je me figure un paysan de 1908, le brin de paille entre ses dents gâtées. Lui qui pense déjà que « l’temps nous fait la nique ! »,  et que la modernité nous tuera tous, a­-t-il pu rester aussi flegmatique quand le monde a enterré ses poilus sous une pluie de plombs ? A-t-il réalisé le pas glissant qu’a fait l’humanité quand elle s’est engouffrée dans une guerre improvisée au nom d’un « racisme rationnel » ? A-t-il compris le petit Albert quand, excité et essoufflé, il lui annonçait que la guerre était finie « parce que les Américains ont envoyé une bombe grand comme Paris sur les Japonais » ? Comment a-t-il admis que le monde qu’il avait connu comme un monde d’empires deviennent un monde de blocs ? Bref, a-t-il pris la mesure des changements inconsidérables qu’a subit son univers ? Quand, pendant des siècles les hommes sont morts comme ils étaient nés, dans la même maison et parfois dans le même lit, notre paysan de 1908 est mort, cinquante ans plus tard, dans l’appartement exigu de l’un de ses fils ouvrier alors que le Parlement français adopte à quelques kilomètres de là le projet européen d’énergie atomique. On parlait déjà de révolution quand les peuples renversaient leur monarque ; que devrait-on dire alors des peuples qui ont vu se dresser des blocs de béton sur les tombes de leurs ancêtres vieux d’un demi-millénaire ?

 

C’est cela que l’on appelle l’accélération de l’Histoire. Comment ne pas se sentir pris d’un vertige, même léger, lorsque l’on reconsidère un instant les changements qu’à subi le monde pendant le vingtième siècle, et déjà avant, pendant le dix-neuvième. Mais cette accélération inhabituelle et passionnante de l’Histoire échoue pourtant comme dans une impasse. L’Histoire ne vit plus ; nous sommes, malgré nous et sans le comprendre, passés à autre chose. Le vingt-et-unième siècle tout simplement ? 

 

       -"Ne sait-on plus vivre l’Histoire ? Ne sait-on plus être historien ?"-

 

Les civilisations ont parfois mis un temps fou à « sortir » d’un siècle, comme l’Europe qui n’a plongé réellement dans le vingtième siècle qu’après Hiroshima. Et nous nous serions extirpés de ce siècle en une petite décennie ? Non, nous sommes passé à autre chose : nous sommes hors de l’Histoire désormais. Mondialisé, globalisé, déstructuré, le monde n’est plus qu’un ensemble géopolitique et économique, où « l’actualité » a pris le pas sur « l’historique ». En un mot, les temps se vivent comme un journal télévisé, et non plus comme les manuels Lavisse, avec cette note de nostalgie et d’idéologie propre à l’historien.

 

Ne sait-on plus vivre l’Histoire ? Ne sait-on plus être historien ?  L’Histoire pourrait bien être un paradigme temporel achevé, qui a fait son temps et qui ne correspond plus à la temporalité humaine et à la conception actuelle de la transmission du « savoir » (bien comprendre le « savoir » comme on pourrait dire le « connaître »). Car tout est là : l’écriture a crée l’Histoire car elle a mis fin aux traditions orales et a permis une transmission de connaissance hors de l’homme ; les bases de données la tuent désormais car l’information est un flux sans début ni fin qui ne hiérarchise pas, qui n’interprète pas. En un sens, l’Histoire a toujours été une affaire de livres : elle ne se nourrit que de textes, de documents, d’archives. Le travail de l’historien n’est pas tellement de « savoir » mais bien de donner un « sens ». C’est important car l’Histoire est une conception du temps selon laquelle le temps évolue, va vers quelque chose. C’est l’idée de la chronologie. Cela nous semble évident. Pourtant il est des peuples où le temps est conçu comme une sorte de support, comme une dimension qui permet simplement aux choses de se dérouler. Raconter une anecdote, une légende de mille ans d’âge ou qui s’est déroulé l’année passée, ce n’est pas cela l’essentiel à leurs yeux. Le « ici et maintenant » n’est pas daté, étiqueté, conservé ; le langage même de ces peuples ne permettrait pas d’exprimer l’Histoire comme nos langages expliquent si mal leur conception du temps.

 

 -"L’Histoire est une conception du temps selon laquelle le temps évolue, va vers quelque chose"-

 

L’histoire est une sédimentation des connaissances, les couches se superposent et peuvent être situées les unes par rapport aux autres. Le temps de l’information est comme une plage de sable, où chaque grain est une information. Le « savoir » est toujours au centre des attentions mais il est vain de chercher à construire quelque chose dessus, car l’information comme le sable est trop mouvante. Le « savoir » n’a plus rien à voir avec « l’apprendre ». C’est pour ça que l’Histoire semble agoniser, car après des millénaires à croire que l’on pouvait apprendre des erreurs du passé à travers l’Histoire, l’humanité actuelle conceptualise l’information comme une simple ressource d’où il faut extraire « la pépite ». Le pas est énorme, mais intéressant.

 

 

H.C.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Lectik
  • : Etudiante en école de commerce, après deux ans en khâgne, je publie ici un certain nombre d'articles sur des sujets divers.
  • Contact

Recherche

Pages

Catégories